LAURENDEAU 2002A
LAURENDEAU, P. (2002a), « Accès électronique à l’Encyclopédie de Diderot et D’Alembert: investigation méthodique d’un maquis intellectuel », Recherches sur Diderot et sur l’Encyclopédie, n° 31/32, avril, pp 149-160.
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Ces hérésies sont comme les tonneaux vides qu’on jette à la baleine: tandis que le monstre terrible s’amuse de ces tonneaux, le vaisseau échappe au danger. Tandis que les esprits s’occupent de l’hérésie, le gros de la doctrine échappe à l’examen; mais il faut que le moment fatal arrive. C’est celui où la dispute cesse. Alors on tourne contre le tronc des armes aiguisées sur les branches; à moins qu’une nouvelle hérésie ne succède à la première, un nouveau tonneau qui amuse la baleine.
Denis Diderot, Réfutation suivie de l’ouvrage d’Helvétius intitulé L’HOMME [1774], dans Diderot, D. (1994) Oeuvres – Tome 1 – Philosophie, Robert Laffont, Collection Bouquins, p. 837.
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La pensée matérialiste moderne s’est développée sous la forme d’une culture de résistance à un ordre social n’hésitant pas, pour sa part, à appliquer des techniques de répression toutes matérielles face aux développements intellectuels jugés séditieux (HERRMANN-MASCARD 1968, KAFKER 1973, SHACKLETON 1975, DARNTON 1973: 333, DARNTON 1982: 28-31, SWIGGERS 1984: 86-90, DARNTON 1986). Cette culture de résistance a adopté à maintes reprises une forme -presque un genre littéraire- donnant une part centrale à la stratégie de la dissimulation (LEFEBVRE 1983: 103-112, GREEN 1990, LOJKINE 1999: 67-69). « Les Encyclopédistes excellent à cette petite guerre » (SOBOUL 1984: 20). Aussi, il est clair qu’il faut se féliciter que la censure royale n’ait pas disposé, à l’époque de la parution de l’Encyclopédie, de l’instrument en cours de finalisation par nos collègues de Chicago (ARTFL [En ligne], voir aussi MORRISEY, IVERSON et OLSEN 1998, ainsi que ANDREEV, IVERSON et OLSEN, 1999). En effet, c’eut été la parade parfaite à ce qui fut le principal exercice textuel appliqué systématiquement et à une grande échelle par les Encyclopédistes: la dissimulation d’idées novatrices sous couvert lexicographique. L’oeuvre des Encyclopédistes est un véritable maquis intellectuel, où la rationalité progressiste joue à cache-cache avec la censure, ou plus précisément avec la présomption de censure. Le copieux article Dieu, le docile article Christianisme ne disent rien de trop sulfureux (KAFKER 1964: 40-41 dit sans ambage des auteurs du second: « it was clear that their praise was insincere ». DARNTON 1982: 26 observe que les encyclopédistes sont « obligés d’user de subterfuges en enveloppant leurs articles de fausses protestations d’orthodoxie », voir aussi SOBOUL 1984: 21). Pendant ce temps, le petit article épi est une dénonciation en règle de l’obscurantisme et de ses contre-vérités. « C’est donc au nom de la vérité, et avec pour seule arme un dictionnaire de la langue française déjà censuré par ses éditeurs, que le combat s’est engagé… » (FILLOUX 1978: 58). On peut ajouter que son principal terrain philosophique fut la description de l’anodin. Une telle particularité de ce type spécifique de discours a été rendue possible par le fait qu’un grand nombre des articles de l’Encyclopédie sont très naturellement digressifs. Ce choix méthodologique et stylistique, d’autre part tout à fait de bonne tenue en son temps et ses circonstances (LOJKINE 1999: 65-67)), fournit de surcroit, ici, comme d’ailleurs dans le Dictionnaire historique et critique de Pierre Bayle (ROSENBERG 1999: 234-235), et dans une multitude d’opuscules, almanachs, et calendriers (réformés notamment), la clef de la dimension crypto-subversive de l’oeuvre encyclopédique. On louvoie dans l’immense nomenclature lexicale, et en même temps on est digressif plutôt qu’allusif, conscients qu’on est de s’adresser à des alliés idéologiques qui aspirent à s’instruire (« Les lecteurs visés par Diderot étaient les laïcs intelligents sans aucune expérience dans le sujet expliqué », dit BIRN 1988: 640). Or, en utilisation non-électronique, la connaissance que nous avons de cette dimension crypto-subversive reste circonscrite par exactement les mêmes limitations qui contraignaient les censeurs de l’époque: la puissante propension à ne consulter un ouvrage lexicographique qu’en se limitant à l’appel « manuel » des quelques mots-vedette correspondant bon an mal an aux concepts recherchés. L’accès électronique va donc permettre aux chercheurs de toutes disciplines de crever le rideau de cette véritable nomenclature-planque, et d’accéder à des informations non encore dominées parce que nichées sous des articles ou mots-vedettes anodins, que les commentateurs n’ont put dépouiller méthodiquement que jusqu’aux lettres B ou C (« …les arguments contre la superstition et le fanatisme, la critique rationnelle de la foi sont en embuscade au coin d’articles tels qu’«Agnus Scythus», «Aigle», «Aius locutius», «Bramine» » dit SOBOUL 1984: 21; voir aussi les exemples fournis par LEFEBVRE 1983: 104-105, tous tirés de la lettre A). Nous proposons de baliser ici la procédure qu’il faut déployer pour sentir la malice (pour reprendre le beau mot de LEFEBVRE 1983: 105) de ce texte polymorphe et étonnant. Nous tentons ainsi de démontrer, sur quelques exemples circonscrits, les avenues ouvertes par la perspective d’une véritable investigation méthodique de cet immense manifeste déguisé en dictionnaire qu’est l’Encyclopédie.
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Les mots-clefs: patronymes et noonymes
C’est qu’évidemment, rien ne se fait sans méthode, et l’exaltation que suscite la puissance de l’outil technique n’autorise en rien notre érudition et notre sens critique à s’assoupir. Il s’agit bien d’accéder à la pensée philosophique des Encyclopédistes en la débusquant là où elle se niche, de continuer de tourner contre le tronc des armes aiguisées sur les branches, de contourner les tonneaux vides sciemment jetés à la censure par nos philosophes-flibustiers. Mais il ne s’agit pas pour autant de contribuer -volontairement ou non- à cultiver le triomphalisme inepte et stérile de cette nouvelle cuistrerie Internet, de cette fausse culture du copier-coller, de cette inertie pianotante de la pensée critique, de cette jubilation suspecte du hacker-plagiaire-semi-volontaire qui picore aveuglément et éclectiquement des fragments épars de savoir au ratelier électronique. Nous entendons plutôt, sobrement, simplement et prudemment, procéder à la consultation assistée par ordinateur d’un ouvrage savant et volumineux dont une partie significative du contenu est en fait truquée, puisqu’elle n’est en place que pour leurrer une autorité doctrinale aux prioritée révolues. Le principe qui nous guide est dès lors assez prosaïque: un certain nombre de mots-clefs associés à une prise de parti philosophique sont susceptibles d’apparaître ailleurs que dans l’article traitant de la notion ou de la réalité à laquelle ils correspondent. Plat constat, au sujet duquel il est important de noter par ailleurs qu’on pourrait citer une multitude d’exemples le corroborant sans que la moindre procédure de dissimulation ne soit tant soit peu impliquée. Ainsi le mot patois (LAURENDEAU 1994) a, dans la totalité de l’Encyclopédie, 19 occurences, dont 9 figurent dans l’article patois même, et cela n’autorise en rien à suggérer que les Encyclopédistes avanceraient secrètement une promotion des parlers régionaux de France! Le fait pour un mot-clef d’apparaître ailleurs que sous le mot-vedette n’est pas le garant direct et mécanique d’une activité de dissimulation philosophique. Celle-ci dépend hautement de la nature même du mot-clef et de son entourage textuel. Conséquement, un retour au texte intégral, tome en main de préférence, est le parachèvement indispensable de la démarche proposée ici. Et, de plus, avant de se lancer dans la partie initiale du travail, la phase heuristique, celle dépendant directement du support machine, il faudra sélectionner les mots-clefs à appeller avec une particulière minutie. Minutie intellectuelle, mais aussi minutie philologique. Pour y parvenir, on se donnera d’abord deux grands types de mot-clefs qui nous permettrons de percer les premières sondes dans l’immense corpus, et de circonscrire les passages les plus riches du point de vue philosophique.
Le premier type de mot-clef est le patronyme. Le nom d’un penseur ou d’un auteur est hautement susceptible de figurer dans l’entourage immédiat d’une référence critique ou polémique à sa doctrine ou à son oeuvre. Les absents -comme Meslier (LEFEBVRE 1983: 23), La Mettrie, Lao Tseu- sont ici aussi intéressants et révélateurs que les présents. Mais la prudence s’impose. Ainsi, en s’intéressant au penseur matérialiste Giordano Bruno, on a d’abord la présence d’esprit de repérer les 8 occurences de son nom latinisé, Brunus. Puis, en appelant Bruno même, on semble dégager 18 nouvelles occurences. Mais celles-ci se détaillent ainsi: Saint Bruno (13 occurences, dont 2 dans l’expression Lis de Saint Bruno), Bruno, rivière d’Italie (2 occurences), Bruno Signiensis (1 occurence), Bruno Sanoé (1 occurence). Ce qui ne laisse qu’une seule occurence de plus pour Giordano Bruno. Maigre récolte, qui révèle bien, si nécessaire, les lacunes d’un dénombrement myope des formes. Toutes précautions de ce type prises par ailleurs, la collecte patronymique des principaux penseurs matérialistes (et empiristes. Sur cette importante distinction: LAURENDEAU 1997, 2000) auxquels on est en droit de s’intéresser en priorité se détaille comme suit: Holbach (3 occurences), Helvétius (10 occurences), Condillac (20 occurences), Alembert (28 occurences), Leucippe (33 occurences), Diderot (39 occurences), Gassendi (62 occurences), Anaxagore (58 occurences, dont 17 sous Anaxagoras), Thalès (71 occurences, dont 9 sous Thales), Hobbes (87 occurences), Locke (122 occurences, dont 6 sous Lock), Épicure (136 occurences), Fontenelle (153 occurences), Galilée (189 occurences), Spinoza (205 occurences, toutes sous Spinosa sauf 2), Buffon (233 occurences), Voltaire (308 occurences). On notera aussi, pour la curiosité: Socrate (330 occurences) et Descartes (501 occurences). En faisant la part égale au trop autant qu’ au trop peu, et à l’empirisme autant qu’au matérialisme, nous développerons le cas bicéphale de Bacon (171 occurences): Francis Bacon (155 occurences, dont 21 dans le Discours préliminaire et 11 dans l’article Baconisme ou Philosophie de Bacon), Roger Bacon (15 occurences), auquel on se doit d’ajouter bacon, viande de porc (1 occurence).
Le second type de mot-clef exploitable est le noonyme. Les noms de notions philosophiques ont un rôle capital à jouer dans le type d’investigation proposé ici. Les absences sont ici aussi hautement révélatrices. C’est qu’en appelant certains noonymes, on commet d’intéressants anachronismes, qui sont autant d’indices importants en histoire de la philosophie,. Ainsi, il semble bien que ne figurent pas à l’Encyclopédie les noonymes suivants: agnostique/agnosticisme/agnostisme, rationalisme/rationalité, gnoséologie, épistémologie, fidéisme, sensualisme, sensualiste, sensoriel, nominalisme, dogmatisme, mentalisme, mentaliste, mentalité, mentaux. Pas moins intéressants sont les noonymes peu nombreux, dont voici un échantillon représentatif (pour les noonymes, nous avons arbitrairement fixé le « petit nombre » à moins de 500 occurences): idéalisme/idéaliste (4 occurences, incluant les pluriels), immatérialisme (5 occurences), mental (7 occurences), ontologie (8 occurences), éclectisme/éclectique (16 occurences), rationnel (28 occurences, dont 11 dans l’expression nombre rationnel, 8 dans l’expression horizon rationnel, 4 dans l’expression entier rationnel), empirisme (28 occurences), empirique (30 occurences), corpusculaire (30 occurences), matérialisme/matérialiste (33 occurences, incluant les pluriels), idéal (36 occurences), nominaux (40 occurences, dont 30 au sens de « nominalistes »), athéisme (129 occurences), rigoureux (152 occurences), fanatisme (173 occurences), matériel (187 occurences), athée (228 occurences, 98 au singulier, 130 au pluriel), tyrannie (234 occurences), spirituel (256 occurences), monarque (360 occurences), dogme/dogmatique (411 occurences, dont 71 à dogmatique). Les noonymes en surnombre sont d’un intérêt inestimable qu’il faudra encore des années à embrasser et à circonscrire: philosophie (2127 occurences, dont 10 au pluriel), société (2409 occurences), philosophe (2993 occurences, 1691 au pluriel, 1302 au singulier), pouvoir (4556 occurences), science (4667 occurences, 2611 au pluriel, 2056 au singulier), idée (8275 occurences, 4820 au singulier, 3455 au pluriel), sens (8515 occurences), dieu (8517 occurences), esprit (8972 occurences), raison (9078 occurences), matière (9181 occurences), nature (10000 occurences), roi (10045 occurences, 6900 au singulier, 3145 au pluriel). Nous exploiterons ici le benjamin des surnuméraires, le sulfureux noonyme superstition (505 occurences, dont 11 à l’article superstition).
Les articles digressifs et non digressifs contenant les mots-clefs retenus
Nous nous concentrons donc maintenant, strictement aux fins de la présente exemplification et sans préjudice pour les options philosophiques promues, sur les mots-clefs Bacon et superstition. L’étape suivante consiste alors à repérer les articles non digressifs et à les distinguer des articles digressifs, ces derniers étant les plus susceptibles de contenir les manifestations les plus intéressantes de dissimulation philosophique. Ainsi, si on nous explique, dans ces articles respectifs, que la céromancie est une superstition, ou que certains peuples portent des amulettes par superstition, voilà qui est de bonne tenue et nous n’y trouvons pas plus à tiquer que les censeurs du temps. Par contre, le fait que l’idée de superstition soit mentionnée -à chaque fois à trois reprise- dans des articles comme jour ou législateur suffira pour inviter le philosophe à attentivement lire, tome en main, l’intégralité de ces deux articles apparement anodins. Que l’article scholastique contienne sept fois le nom du penseur médiéval Roger Bacon, et on n’a naturellement rien à redire. Mais que Francis Bacon soit mentionné -à deux reprises dans les deux cas- dans les articles causes finales et mosaïque, augmente sensiblement la chance que des digressions dissimulatoires s’y manifestent.. Cette chance est d’autre part plus grande dans le second cas que dans le premier, car causes finales est le type de mot-vedette susceptible d’avoir attiré l’attention de censeurs consultant sélectivement les articles du dictionnaire par thèmes idéologiques, d’où une kirielle de trucages possibles distincts de la simple digression (cf l’article « faussement naïf » carême, et le commentaire qu’en font Soboul et Goujard dans DIDEROT, D’ALEMBERT, et alii 1984: 126). Pour les mots-clefs superstition et Bacon, la distinction entre articles digressifs et articles non-digressifs s’établit donc comme suit (on notera que certaines options pourraient ici être débattues, mais dans le doute, on n’hésitera pas à classer l’article comme possiblement digressif et on retournera aux tomes dans son cas également).
Les articles non-digressifs de l’Encyclopédie contenant superstition et Bacon sont les suivants. Contenant superstition: abraxas; adonie; alphitomancie; abrume; amulette; aniran; art de S.Anselme; astrologie; augurum; azabe-kaberi; baalite; céromancie; cleidomancie; colonne lactaire; critomance; cryptographie; déclamation des Anciens; déesse-mère; Delphes; divination; embaumement; enchantement; enfer; expiation; fanatisme; fazin; féries latines; fête des fous; feu sacré; géhenne; gui; héliognostique; hellequin; huscanaouiment; hydromantie; idole; idolâtre; idolâtrie; Junon; léthomancie; magie; magicien; marumba; mumbo-jumbo; ngambos; omphalomancie; oracle; dieux palices; panthées; paroles de mauvais augure; polythéisme; praemunire; pressentiment; prêtres; printemps sacrés; prodige physique; prophète de Baal; psychomancie; pyrophore; pyromancie; relique; riadhiat; serpent-fétiche; livres sybillins; Sommona-Kodom; sorcellerie; sort; sortilège; statue; superstition; tabra; temple; téphramancie; topilzin; toxcoal; vampire; vestale; zemzem; zoolatrie. Contenant Bacon: baconisme ou philosophie de Bacon (pour Francis Bacon); scholastique (pour Roger Bacon, dont le nom apparait 7 fois dans l’article); repas des Francs (pour la viande de porc).
Les articles digressifs de l’Encyclopédie dont la lecture a été encouragée par les filons superstition et Bacon, c’est-à-dire par la présence de ce noonyme ou de ce patronyme dans le texte, sont les suivants: Aigle à queue blanche (contient superstition 1 fois); athées (contient superstition 8 fois); Agnus Scythus (contient Bacon 3 fois – voir à son sujet les commentaires de Soboul et de Goujard dans DIDEROT, D’ALEMBERT et alii 1984: 56, ainsi que LEFEBVRE 1983: 105); art (contient Bacon 4 fois); causes finales (contient Bacon 2 fois); certitude (contient superstition 5 fois); conscience (contient superstition 1 fois); consolation (contient superstition 1 fois); crise (contient superstition 2 fois); cynique (contient superstition 5 fois); éclectisme (contient superstition 6 fois); épi (contient superstition 1 fois); épreuve (contient superstition 2 fois); AEquè (contient superstition 4 fois); fiction (contient superstition 1 fois); Genève (contient superstition 5 fois); gloire (contient superstition 2 fois); hippocratisme (contient superstition 3 fois); hobbisme (contient superstition 3 fois); illicite (contient superstition 1 fois); influence (contient superstition 3 fois); jour (contient superstition 3 fois); législateur (contient superstition 3 fois); libelle (contient superstition 2 fois); liberté de pensée (contient superstition 3 fois); lugubre (contient superstition 1 fois); luxe (contient superstition 2 fois); mérite (contient Bacon 1 fois); mosaïque (contient Bacon 2 fois); observation (contient superstition 1 fois); observation thérapeutique (contient superstition 2 fois); oeconomie politique (contient superstition 9 fois); oratoire (contient superstition 1 fois); platonisme (contient Bacon 1 fois); poème épique (contient superstition 1 fois); population (contient superstition 5 fois); pressentiment (contient superstition 4 fois); pythagorisme (contient superstition 2 fois); relation (contient Bacon 1 fois); Sébaste (contient superstition 1 fois); sensibilité (contient Bacon 1 fois); subside (contient Bacon 1 fois); télescope (contient Bacon 1 fois); test (contient superstition 1 fois); valeur (contient superstition 1 fois); Venise (contient superstition 1 fois); vie (contient superstition 1 fois); unitaire (contient superstition 1 fois); usure (contient superstition 1 fois); vicissitude (contient Bacon 1 fois); vingtième, imposition (contient superstition 4 fois).
Ce qu’on tire des articles
Au moment de retourner aux tomes, il est crucial de lire soigneusement l’intégralité de l’article, et de se distancier alors sans ambage du traitement en micro-contexte dont le support machine entretient imperceptiblement et inexorablement la coûteuse propension. Inutile de dire que les passages intéressants du point de vue philosophique ne contiendront pas nécessairement le mot-clef nous ayant mené à l’article retenu. Le mot-clef a débusqué les données à investiguer. Grâce au support machine, il a joué son rôle de déclencheur à l’investigation, de révélateur du ton et de la saveur de l’article, de nef pour la baleine, de brûlot du maquis. Mais l’affaire se joue désormais entre le philosophe actuel et son vis-à-vis dix-huitiémiste, comme depuis la nuit des temps. Trois brefs exemples (nous travaillons à partir de DIDEROT, D’ALEMBERT et alii, 1966-67, reproduction en fac-similé de l’édition originale):
Crise (article de 36 colonnes, signé par Bordeu, contient superstition 2 fois): Cet article du médecin Bordeu porte sur les crises dans la maladie, et sur le décompte des jours de répit et des jours de crise -les jours critiques– dans la progression d’un mal aigu. L’auteur résume et confronte les vues de Galien et d’Hippocrate sur la question. Le livre des épidémies d’Hippocrate entre en contradiction avec ses Aphorismes sur la périodicité des crises. L’auteur de l’article a alors ce mot: « Tout ce qu’on peut supposer de plus raisonnable en faveur d’Hippocrate, s’il est l’auteur de ces ouvrages dans lesquels on trouve des contradictions, c’est que ces contradictions sont dans la nature, & qu’il a dans toutes les occasions peint la nature telle qu’elle s’est présentée à lui; mais il a toûjours eut tort de se presser d’établir des regles générales: ses épidémies doivent justifier ses aphorismes, sans quoi ceus-ci manquent de preuves, ils peuvent être regardés comme des assertions sur lesquelles il ne faut pas compter« (tome 4, 474a). Depuis cette analyse finement dialectique, on glisse ensuite vers une critique de l’esprit de système et du dogmatisme. « Il y a apparence que les dogmes devinrent à la mode, qu’ils pénétrerent jusqu’au sanctuaire des sectes des médecins. Ceux-ci furent aussi surpris de découvrir quelques rapports entre les opinions des philosophes & leurs expériences, que charmés de se donner l’air savant: en un mot, ils payerent le tribut aux systèmes dominans de leur siècle, ce qui est arrivé tant de fois depuis… » (tome 4, 474a). Et on développe alors, en dénonçant l’influence de la doctrine des nombre pythagoricienne et de l’astrologie sur la médecine antique et moderne. En suivant l’évolution de la médecine et les bonheurs et les avatars de la doctrine des crises, l’auteur en arrive au médecin Stahl, et s’autorise alors l’aparté typique des Encyclopédistes: « …mais disons-le puisque l’occasion s’en présente: il seroit à souhaiter pour la mémoire de Stahl, qu’il se fût moins avancé au sujet de l’ame, ou qu’il eût trouvé des disciples moins dociles à cet égard; c’est là, il faut l’avoüer une tache dont le Stahlianisme se lavera difficilement. On pourroit peut-être le prendre sur le pié d’une sorte de retranchement, que Stahl s’étoit ménagé pour fuir les hypotheses, les explications physiques, & les calculs: mais cette ressource sera toujours regardée comme le rêve de Stahl; rêve d’un des plus grand génies qu’ait eu la Medecine, il est vrai, mais d’autant plus à craindre, qu’il peut jetter les esprits médiocres dans un labyrinthe de recherche & d’idées purement métaphysiques. » (tome 4, 478a). Et d’amorcer l’analyse détaillée de la perpétuation et de l’extinction de la doctrine des crises dans la médecine de son temps sur la remarque suivante: « En un mot il faut convenir qu’on s’égare presque nécessairement, lorsqu’on se livre sans réserve au raisonnement en Medecine. La dispute entre les anciens & les modernes, dont je viens de dire quelque chose, ne peut & ne doit être vuidée que par l’observation » (tome 4, 482a). Et, en conclusion, ceci: « En un mot, il est nécessaire pour terminer la question des crises, ou pour l’éclaircir, d’être libre… » (tome 4, 489a)
Relation (article de 5 colonnes, initialé D.J, contient Bacon 1 fois.): L’auteur décrit les différents types de relations en voyant bien, au début de l’article, à faire « en sorte que la relation, dans quelque sens qu’on la prenne, ne réside toujours que dans l’esprit, & non pas dans les choses mêmes » (tome 14, 62a). Puis, au coeur de ce taillis idéaliste, se niche le relativisme moral: « C’est la conformité ou la disconvenance de nos actions à quelque loi (à quoi le législateur a attaché par son pouvoir & sa volonté, des biens ou des maux, qui est ce qu’on appelle récompense ou punision), qui rend ces actions moralement bonnes ou mauvaises. » (tome 14, 62b), suivi, sous le sous-titre Relation historique, du relativisme historique, complété d’um matérialisme gnoséologique dont on cite ouvertement la source: « …on ne peut souvent présenter que des conjectures à la place des certitudes; mais comme la plupart des révolutions ont constamment été traitées par des contemporains, que l’esprit de parti met toujours en contradiction, après que la chaleur des factions est tombée, il est possible de rencontrer la vérité au milieu des mensonges opposés qui l’enveloppent, & de faire des relations exactes avec des mémoires infideles. C’est une observation du chancelier Bacon; on ne saurait trop orner cet ouvrage des pensées de ce beau génie. » (tome 14, 63a-b).
Épi (article de 1 colonne, non signé, contient superstition 1 fois): Après la définition de l’épi comme touffe de poil rebelle, la remarque suivante, typique, mais toujours soigneusement dissimulée: « Il n’est pas étonnant que dans des tems de té[ne]bres & d’obscurité, la superstition ait pû ériger en maximes tout ce qu’elle suggere ordinairement à des esprits foibles & crédules; mais il est singulier que dans un siecle aussi éclairé que le nôtre, on puisse croire encore que les épis placés aux endroits que le cheval peut voir en pliant le cou, doivent dépriser l’animal, & sont incontestablement d’un très-sinistre présage. On ne peut persévérer dans de semblables erreurs, qu’autant qu l’on persévere dans son ignorance, & peut-être cette preuve n’est-elle pas la seule de notre constance à fuir toute lumière. » (tome 5, 775b)
…il faut que le moment fatal arrive. C’est celui où la dispute cesse
Mené à une grande échelle et systématiquement, ce type d’investigation fera des merveilles pour la clarification des multiples facettes encore méconnues du matérialisme philosophique des Lumières, dans ce qu’il avait de collectif et de consensuel (sans que cela n’exclue de fermes débats internes, voir LE RU 1999) chez la foule déterminante des penseurs « mineurs » qui façonnèrent l’Encyclopédie (sur ces derniers, voir KAFKER 1963). Des trouvailles nous attendent, qui remettrons notamment en question la réputation « métaphysique » et « mécaniste » que l’on fait à ce matérialisme. La procédure d’investigation proposée ici est simple et rendue fulgurante par l’outil électronique. L’analyse et le débat philosophique, eux, se feront encore avec le bon vieil outil cortical… On peut conclure que la dispute sur l’importance heuristique de l’accès électronique à l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert cessera bien vite. Pour sa part, le débat philosophique, notamment la lutte fondamentale entre matérialisme et idéalisme, continuera cependant de se développer et de s’approfondir. C’est que c’est le seul des deux engagements où la machine ne joue qu’un rôle ancillaire.
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